Le Conseil constitutionnel désarme les gladiateurs

L’idée d’Etat de Droit repose sur la suprématie de la Constitution. Elle fut instaurée aux Etats-Unis par le Juge Marshall dans l’arrêt Marbury contre Madison en 1803, qui a ainsi imposé le contrôle de constitutionnalité. En France, il a fallu attendre la Vème République, en 1958, pour imposer ce contrôle de constitutionnalité et mettre fin à ce que le Doyen Vedel appelait «l’insoutenable autonomie du politique». Le contrôle de constitutionnalité imposé par le Chief justice John Marshall n’est pas passé comme lettre à la poste parce que les Présidents des Etats-Unis, Thomas Jefferson et James Madison, considéré comme le père de la Constitution, contestèrent vigoureusement la décision du juge. «Au nom de la démocratie et de l’équilibre des pouvoirs, Jefferson et Madison refusaient en définitive de voir en la Cour suprême, organe non responsable politiquement, le gardien unique de la Charte fondamentale, ouvrant un débat sur la légitimité et le rôle du juge constitutionnel, qui se poursuit encore de nos jours…», comme le rapporte Louis Favreau dans son livre Droit constitutionnel. Le débat est d’une actualité brûlante chez nous.
Une constitution a aussi pour mission de mettre l’ordre dans la vie politique, avec la juridicisation de la politique, c’est-à-dire que les contentieux politiques ne sont plus réglés par des furies ou des émeutes comme en 1988, suivies de la proclamation de l’Etat d’urgence, ou dans les années 90 avec l’assassinat du juge Sèye et la mort des policiers, mais par le Droit. Cette juridicisation de la vie politique qui est devenue une lame de fond depuis l’alternance de 2000, et renforcée par celle de 2012, parce que dans notre système politique dont l’alternance est devenue la respiration naturelle et où l’opposition gagne souvent de grandes villes comme Dakar, il est difficile de faire croire aux citoyens qu’on peut truquer des élections. Cette croyance est confirmée par le fait que depuis 2012, Macky Sall n’a jamais pu gagner à Touba et a perdu Ziguinchor à la Présidentielle de 2019 et aux Locales de 2022, malgré des milliards d’investissement.
Les dernières décisions du Conseil constitutionnel, qui désarment les gladiateurs de la majorité et de l’opposition en leur rappelant que notre democratie doit préférer la civilité, l’urbanité du marbre du Sénat plutôt que la poussière du Colisée, montrent que la démocratie avance mais nos hommes politiques reculent ou stagnent, parce que de façon anachronique, en voulant toujours nous ramener à l’ère des furies (de 1983 à la première alternance de 2000). Depuis 2000, nous sommes dans une autre ère car élection après élection, alternance après alternance, les faits prouvent qu’on peut faire confiance à notre système électoral.
Les politiciens qui avaient jeté l’opprobre sur le Conseil constitutionnel, décrédibilisant ainsi par anticipation sa décision, doivent être dans leurs petits souliers. Cette décision du Conseil est révolutionnaire, comme celle qui avait rappelé au président de la République qui voulait réduire son mandat de 7 à 5 ans, que le Conseil constitutionnel ne saurait être le maître d’ouvrage de promesses électorales. Cette décision pour les Législatives est encore plus révolutionnaire parce qu’elle enlève à notre classe politique l’alibi électoral derrière lequel on s’abrite toujours pour ne pas aborder les vraies questions comme celles de la sécurité, du terrorisme, de l’emploi.
Le Conseil constitutionnel a fait tomber un alibi électoral mais à coup sûr, ils vont en trouver d’autres. Notre democratie avance, nos hommes politiques font des bonds en arrière. Notre democratie avance parce que le système est devenu plus fort que les acteurs. Les hommes politiques nous font reculer en transformant souvent notre capitale en état de siège, prenant souvent tout un pays en otage. Le Conseil constitutionnel a encore du pain sur la planche car par le Droit, il devra hisser nos hommes politiques à la hauteur de notre grande démocratie. Apres l’ère de la régulation par les furies, qui va de 1983 quand on votait sans identification et isoloir facultatif, à l’alternance de 2000, notre democratie doit entrer définitivement dans l’ère de la régulation par le Droit, c’est-à-dire remplacer les gladiateurs par des hommes d’idées. On a besoin d’une confrontation d’idées, pas celle de gladiateurs.

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