Shinzo Abe: le plus célèbre des Premiers ministres du Japon assassiné

L'ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe, 67 ans, a succombé à ses blessures, ce vendredi 8 juillet, après avoir été touché par des tirs, en plein meeting dans la ville de Nara, dans l'ouest de l'archipel, où il participait à la campagne des sénatoriales. Le pays du soleil levant perd en ce jour une figure tutélaire, pur produit de familles importantes dans l'histoire moderne du Japon.

Ce vendredi estival restera gravé à jamais dans l’histoire de l’archipel nippon comme un jour sombre, celui du premier assassinat politique d’un chef de gouvernement du Japon depuis les années 1930.

Et pas n’importe quel Premier ministre, puisque Shinzo Abe détenait le record de longévité à ce poste, après avoir été son deuxième plus jeune occupant (le plus jeune depuis, là encore, les années 1930).

Une véritable saga dynastique nippone

Par ses liens familiaux, par l’emprunte considérable laissée lors de ses années au pouvoir à Tokyo, et désormais par sa mort brutale, M. Abe laisse derrière lui l’impression d’une vie de saga dynastique.

L’un de ses arrières-grands-pères était un important général dans l’armée impériale, lui-même fils aîné d’un samouraï du domaine de Choshu, actuelle préfecture de Yamaguchi, le bastion de la famille.

Son grand-père maternel, et modèle en politique, s’appelait Nobusuke Kishi. Il fut lui-même chef du gouvernement japonais entre 1957 et 1960, comme son petit frère, le grand-oncle Eisaku Sato.

Où l’on voit apparaître que M. Abe n’était pas le dépositaire d’un seul patronyme célèbre, mais d’au moins trois : Abe, Kishi et Sato, des familles entremêlées, influentes localement depuis le XIXe siècle.

Shinzo Abe, héritier de Nobusuke Kishi

On trouve encore, dans son arbre généalogique, Yosuke Matsuoka, le ministre des Affaires étrangères qui annonça le retrait du Japon de la Société des nations, en 1933, et qui officia pendant toute la guerre.

Ce sont ses attaches familiales qui permettent à Shinzo Abe de se lancer, d’abord dans le secteur privé, la construction métallique, puis en politique, dans l’ombre de son père, gendre et héritier de Kishi.

Le futur Premier ministre nait en 1954 dans le bastion de la famille, comme deuxième fils, mais il grandit dans la préfecture de Tokyo, du fait des responsabilités de son père Shintaro Abe, à partir de 1957.

Études dans le privé, puis la science politique à l’université de Seikei et à Los Angeles, au sein de l’université de Californie du Sud, en 1978. De retour au pays l’année suivante, il ne se lance qu’en 1982.

L’ombre de son chef Jun’ichiro Koizumi

Shinzo Abe se retrouve plongé cette année-là dans les affaires nationales et internationales, assistant son père – comme ce dernier avant lui avec le sien, Kan Abe –, nommé ministre des Affaires étrangères.

Puis il l’accompagne à la présidence du conseil général du Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir presque sans discontinuer depuis 1955, puis au secrétariat général du parti, entre 1987 et 1989.

C’est la mort de Shintaro, en 1991, qui permet à son fils de prendre la lumière. Shinzo se fait élire à sa place à la Chambre des représentants en 1993, et rejoint sa faction, le Conseil pour la nouvelle politique.

Dès lors, il se fait à chaque fois réélire député, le plus souvent très confortablement. Membre de la jeune garde réformiste, il est au service de Jun’ichiro Koizumi, dans ses échecs, puis dans ses succès.

Enlèvements nord-coréens : son tremplin

De 1997 à 1999, Shinzo Abe dirige le bureau de la jeunesse du PLD, formant un quatuor, le Conseil des NAIS, avec trois hommes de sa génération : Takumi Nemoto, Nobuteru Ishihara et Yasuhisa Shiozaki.

C’est à cette époque, à travers ses responsabilités partisanes et parlementaires, que M. Abe se spécialise, portant son attention sur les affaires sociales ou la santé. Avant le tournant du millénaire.

En l’an 2000, il rejoint le cabinet du Premier ministre Yoshiro Mori, en qualité de secrétaire général adjoint. Un poste qu’il conserve dans le cabinet de son successeur, Jun’ichiro Koizumi, jusqu’à 2003.

Il s’illustre, en 2002, comme négociateur en chef de Tokyo dans le dossier des cinq derniers survivants, parmi les treize Japonais enlevés sur ordre du numéro un nord-coréen Kim Il-sung entre 1977 et 1983.

Il organise la première visite d’un dirigeant japonais en Corée du Nord, en 2002. M. Koizumi exprimera des regrets pour l’occupation, contre les excuses de Kim Jong-il pour les enlèvements de son père.

M. Abe obtient dans la foulée le retour des survivants, arnaquant Pyongyang au passage en promettant qu’ils reviendront, point sur lequel Tokyo s’assoira. Il se forge alors l’image d’un homme à poigne.

Un jeune Premier ministre pour le Japon

Shinzo Abe devient secrétaire général du PLD dès 2003, avant ses 50 ans, aux côtés de Jun’ichiro Koizumi, dont il est devenu le taulier. Il s’affirme sur les questions de sécurité et de politique étrangère.

Dès cette année, le PLD absorbe le Nouveau Parti conservateur. Shinzo Abe prend aussi la tête d’une cellule spéciale dédiée aux enlèvements nord-coréens, et se charge des réformes internes du parti.

Sous son impulsion, entre autres réformes, sa formation commence à mettre au sommet de ses priorités la recherche d’un consensus national pour une nouvelle Constitution, ce qui sera le combat de sa vie.

La réforme des retraites, couplée au scandale des retraites de personnalités de la majorité, et enfin l’Irak, fragilisent le PLD de manière historique. M. Abe prend du recul après une défaite de son camp en 2004.

Il est de nouveau propulsé sur les devants l’année suivante, à l’occasion de l’ultime épopée de son chef, Jun’ichiro Koizumi, qui le nomme secrétaire général du cabinet dans son dernier gouvernement.

Alors, Shinzo Abe s’impose comme l’héritier. Il se porte candidat à la présidence du PLD le 1er septembre 2006, est bien élu le 20, avant de devenir Premier ministre quelques jours plus tard, à 52 ans.

Abe, phœnix et faucon de l’archipel nippon

Shinzo Abe ne fait pas long feu, pour sa première au Kantei. Il doit annoncer son départ dès septembre 2007, après la chute de ses proches accusés de malversations, et même un suicide dans ses rangs.

Il rencontre également ses premiers problèmes de santé. Mais après les avoir surmontés, il parvient à se faire réélire à Yamaguchi en 2009, au terme d’une intense campagne de terrain. C’est la rédemption.

Sa victoire écrasante lui donne la volonté de s’imposer de nouveau, alors que le pays traverse la grave crise générée par les subprimes, et que la Chine s’affirme. Ses orientations politiques se dessinent.

Au sein du PLD, il plaide pour une réforme de l’éducation, la réaffirmation de la diplomatie japonaise, la fin du pacifisme pour l’armée nippone… Il installe aussi la critique sur la timidité de la Banque du Japon.

Le plus long chef de gouvernement japonais

Soutenu par sa femme Akie, et contre l’avis de sa mère, il se lance à nouveau à l’assaut du parti, convaincu de pouvoir cette fois s’installer durablement à la tête du pays. Il l’emporte en septembre 2012.

Chef de l’opposition, il s’impose comme le favori des élections législatives anticipées, dès le mois de décembre 2012, après un pacte sur la dissolution tissé en novembre avec le Premier ministre Noda.

Placée sous le slogan Remettre sur pied le Japon, la campagne de Shinzo Abe est dure, c’est celle d’un « faucon » préoccupé notamment par les questions de sécurité, sur le plan national et international.

Sur le plan économique, son combat porte un nom : la déflation. Son outil ? La politique monétaire. Cela ne se fera d’ailleurs pas sans résistance. Il entend aussi rejoindre le processus du TPP, sous conditions.

La suite appartient à l’histoire de l’archipel. Shinzo Abe gagne, gouverne avec stabilité, s’attire quelques titres de noblesse dans le champ de la science politique, avec ses fameuses « Abenomics » notamment.

Il n’est que le second chef de gouvernement japonais à être parvenu à se réimposer dans tout l’après-guerre. Et il rafle finalement le titre symbolique de Premier ministre le plus pérenne de l’histoire du pays.

Lors de son dernier mandat, Shinzo Abe aura même participé, contre son gré d’ailleurs, au processus de succession de l’empereur, dont il n’acceptait pas la démission, décision à laquelle il se pliera néanmoins.

Le nom de Shinzo Abe, associé au Japon pour l’éternité

Shinzo Abe conservera l’image d’un homme conservateur, attaché aux traditions japonaises, à ses croyances, même, bien plus d’ailleurs que les représentants actuels de la famille impériale nippone.

Il était un peu, pour cet archipel asiatique, et toute mesure gardée, ce que Vladimir Poutine incarne en Russie, Xi Jinping en Chine, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, et surtout Narendra Modi en Inde.

Tout démocrate qu’il resta, M. Abe est l’homme ayant souhaité affirmer, dans une certaine mesure, le retour de son pays au premier plan dans le concert des nations, après plus d’un demi-siècle de timidité.

Sa mort, ce vendredi à Nara, alors qu’il poursuivait son combat pour le PLD, ne fait que renforcer le mythe. L’ex-Premier ministre rejoint définitivement le panthéon des grandes figures de son vieux pays.

RFI

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