« Je ne suis pas un dictateur », dit en substance Alpha Condé, dix jours avant la présidentielle guinéenne. La polémique fait rage, depuis que le chef de l’État guinéen a décidé de briguer un troisième mandat. En exclusivité sur RFI et France 24, Alpha Condé répond aussi à ceux qui l’accusent d’instrumentaliser les différences ethniques. Et il s’exprime sur le procès qu’on attend toujours, 11 ans après le massacre du 28 septembre 2009. En duplex de Conakry, le président-candidat a répondu aux questions de Christophe Boisbouvier et de Marc Perelman.
Alors ce troisième mandat, toutes Républiques confondues, il est dénoncé par un certain nombre de vos compatriotes comme un coup d’État constitutionnel, qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent que c’est la porte ouverte à une présidence à vie que vous toujours combattue ?
Premièrement, c’est une Constitution où tout le monde a été consulté, ensuite lorsqu’il y a une constitution, ceux qui sont d’accord votent oui, ce qui ne sont pas d’accord votent non. Comment peut-on dire coup d’État, lorsque cette constitution est signée au référendum, et il ne s’agit pas de faire une présidence à vie, moi je me suis battu pendant 44 ans, j’ai été opposant, et j’ai été condamné à mort et emprisonné sous Sékou Touré, j’ai gagné les élections en 1993 tout le monde le sait, j’ai refusé bien que les militaires aient dit qu’ils étaient avec moi, j’ai dit que je ne suis pas venu pour gouverner des cimetières, c’est la raison pour laquelle je suis parti. Donc si je voulais la présidence à vie, j’aurais déjà commencé à être président en 1993.
Si vous êtes réélu, est-ce que ce sera votre dernier mandat ?
Pour le moment, nous allons aux élections, il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant… Attendons de voir, une élection n’est jamais gagnée d’avance, alors on verra si je gagne ou pas.
En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara avait fait le choix de ne pas se représenter au mois de mars, à l’époque vous aviez été pointé du doigt pour être le seul de la sous-région à vouloir briguer un troisième mandat, maintenant que vous voyez que Alassane Ouattara y va, est-ce que vous vous sentez moins seul ?
Écoutez, moi je suis Guinéen, je m’occupe du peuple de la Guinée, je ne m’occupe pas des autres pays, mais je vous fais remarquer qu’il y a des présidents qui ont trois mandats, quatre mandats, cinq mandats, curieusement ces présidents ne sont jamais critiqués et ça passe comme une lettre à la poste, c’est très étonnant quand même, le président Alassane est mon frère que j’aime bien, il est libre de son choix, et je n’ai pas à commenter.
Puisque vous dites qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, est-ce que vous accepterez éventuellement votre défaite ?
Je suis un démocrate Monsieur Boisbouvier, il faut quand même que vous compreniez une chose, je me suis battu, j’ai créé mon parti, je me suis battu pendant 45 ans, mes adversaires sont des fonctionnaires qui sont devenus Premier ministre, après Premier ministre et après avoir mis le pays à terre, ils ont créé un parti. Je pense quand même que c’est extraordinaire que moi je me suis battu pendant 45 ans et que je sois considéré comme un dictateur anti-démocrate, alors qu’eux on les a appelés les fossoyeurs de l’économie guinéenne.
Il y a un mois vous avez dit à vos partisans : « Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre », et puis tout récemment, après une visite à Conakry de la mission conjointe Cédéao, ONU, Union africaine, vous êtes revenu sur ces propos, vous avez dit « On n’est pas en guerre ». Monsieur le président, est-ce que ce revirement est sincère ?
Je n’ai jamais dit que c’est une guerre, vous ne m’avez jamais entendu, depuis le début je n’ai pas fait de meeting et je parlais simplement en vidéo conférence et je vous défie de me montrer une vidéo conférence où j’ai dit que c’est une guerre, j’ai toujours dit à mes militants : « Ne jetez pas de pierres, n’insultez pas les gens ».
Quelque chose que vous avez affirmé, c’est que vos adversaires veulent se proclamer vainqueurs pour aller ensuite se réfugier dans une ambassade, en pensant qu’il y aura la guerre. Alors est-ce que vous craignez un scénario comme au Mali, où l’armée a renversé IBK il y a deux mois par exemple ?
Je vous ferais remarquer qu’il n’y a jamais eu de coup d’État en Guinée. L’armée a pris le pouvoir après la mort du président Sékou Touré. Ensuite l’armée a pris le pouvoir après la mort du président Conté, la Guinée n’a jamais eu de rébellion, il n’y a jamais eu de guerre civile, il n’y a jamais eu de coup d’État. Aujourd’hui nous avons une armée républicaine, donc la situation n’a rien à voir.
Cellou Dalein Diallo, en tout cas, il dénonce de votre part une « instrumentalisation de la différence ethnique », et il n’est pas le seul à pointer ce danger puisque, la semaine dernière, la mission internationale que vous avez reçue a condamné fermement « les discours de haine à relent ethnique », visiblement cette mission visait les deux camps, qu’est-ce que vous répondez à cette mission ?
Je n’ai jamais fait un discours à relent ethnique. Je vous fais remarquer que je suis Malinké, et je parle 10 fois mieux soussou que malinké. Sékou Touré était président malinké et je me suis battu contre lui et il m’a condamné à mort. Moi je n’ai jamais tenu de discours ethnique pour la plus simple raison que je suis panafricaniste. Et quand je menais le combat contre Sékou Touré, la plupart des gens qui se battaient avec moi étaient des Peuls et les Malinkés m’accusaient d’être l’instrument des Peuls, alors je pense qu’il faut un peu relire l’histoire.
On a récemment commémoré le massacre du 28 septembre 2009, toujours pas de procès plus de 10 ans après, si vous êtes réélu, est-ce que ce procès aura lieu ?
Nous nous sommes mis d’accord avec la Cour pénale internationale. Nous allons construire un bâtiment interne, on pourra juger.
Donc ce procès aura lieu, si vous êtes réélu ?
Puisque nous avons déjà commencé à construire l’immeuble où il y aura le procès, mais je vous fais remarquer que celui qui critique [Cellou Dalein Diallo] est parti à Ouagadougou faire alliance avec le président Dadis Camara en 2015.
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Christophe Boisbouvier RFI