Selon le gendarme des finances publiques, la priorité au développement annoncée par Paris pour la région n’a « été qu’en partie suivie d’effet ».
Il y a les stratégies couchées sur le papier et réaffirmées dans les discours politiques. Et puis il y a les faits. Au Sahel, la Cour des comptes estime que l’écart entre les ambitions annoncées par la France et la réalité de ses engagements est grand.
Dans un rapport rendu public jeudi 22 avril, le gendarme des finances publiques souligne que la priorité au développement affichée par la France au Sahel depuis 2009 dans ses différentes stratégies n’a « été qu’en partie suivie d’effet ».
Les dépenses françaises en faveur des pays du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) ont plus que doublé entre 2012 et 2019, passant de 584 millions d’euros à l’aube du déclenchement de la guerre au nord du Mali, à plus de 1,17 milliard d’euros sept ans plus tard. Mais l’aide accordée à la stabilisation et au développement, elle, n’a « pas suivi la même progression », note le rapport. Entre 2012 et 2019, le montant annuel qui leur a été alloué a même baissé, passant de 431 millions d’euros à moins de 325 millions. Selon la Cour des comptes, environ 60 % des sommes françaises versées au Sahel ont ainsi été affectées aux actions militaires, sur la même période.
Pourtant, publiquement, les officiels français ont maintes fois insisté sur l’urgence de financer le développement dans cette région qui figure parmi les plus pauvres du monde. Une zone que Jean-Marc Châtaigner, ex-envoyé spécial de la France pour le Sahel, avait décrite comme « l’ultime frontière du développement » qu’il convenait de faire tomber.
Mais selon la Cour des comptes, « la priorité affichée en faveur de la zone Sahel ne s’est pas traduite dans les faits : les cinq Etats sahéliens représentaient, en 2018, 10 % de l’APD [aide publique au développement] française en Afrique et le Mali 2,5 %. Des propositions inchangées par rapport à 2013 ».
« Dégradation de la sécurité »
Selon les rapporteurs, la France et l’Union européenne (UE) ont préféré « diriger spontanément leurs actions vers des pays dont l’économie est plus avancée et la situation géopolitique plus stable ». Et l’aide au développement accordé au Sahel par Paris et l’UE dans son ensemble s’est davantage matérialisée par « des prêts et non pas des dons ».
L’efficacité de l’action militaire française, enclenchée en 2013 au Mali avec l’opération « Serval » (transformée en « Barkhane » depuis 2014), laisse aussi les rapporteurs plutôt sceptiques. Ainsi, ils notent que si la France a quasiment multiplié par sept ses investissements militaires depuis 2012 (passant de 153 millions d’euros à plus de 1 milliard d’euros actuellement), les résultats sur le terrain correspondent peu aux objectifs fixés.
« En 2018 et en 2019, la dégradation de la sécurité dans les régions adjacentes à son intervention, dans le centre du Mali et dans les régions frontalières du Burkina Faso, n’a pas permis que la stratégie (…) se déroule ainsi qu’elle avait été programmée », souligne le rapport. Transmis au premier ministre, Jean Castex, le document recommande aux autorités de réaliser un « bilan de l’exécution » de l’opération « Barkhane ».
Détournements de fonds
L’action de l’UE, à travers ses missions de formation des soldats maliens et des forces de sécurité intérieures du Mali et du Niger, est aussi jugée avec nuance par la Cour des comptes. Celle-ci pointe les « défaillances dans le suivi des militaires formés » et insiste sur le cas du ministère malien de la défense qui, malgré les investissements consentis par les Européens, ne s’est toujours pas doté d’un système informatisé des ressources humaines.
Ainsi, le paiement des soldes des militaires et les effectifs réels de l’armée demeurent opaques. De quoi favoriser les malversations financières alors que les soldats de rang, sur le terrain, subissent de plein fouet une menace djihadiste grandissante.
Déjà en 2014, le Bureau du vérificateur général du Mali, chargé de contrôler les dépenses publiques du pays, avait révélé des détournements de fonds de plus de 9 millions d’euros dans le secteur de la défense.
En février, les chefs d’Etat du G5 Sahel réunis en sommet à N’Djamena, au Tchad, se sont engagés à réformer la gouvernance du secteur de la sécurité pour « accroître la transparence, y compris financière ». Leurs partenaires étrangers, France et UE en première ligne, ont salué cette promesse. Et réaffirmé, une fois encore, leur volonté de mettre toujours plus l’accent sur la stabilisation et le développement dans la région. Un engagement qui reste à démontrer.