Le Programme alimentaire mondial (PAM) a été récompensé pour “ses efforts visant à empêcher l’utilisation de la faim comme arme de guerre”. Un rôle plus que jamais d’actualité. Guerre et famine, les indissociables. Le prix Nobel de la Paix 2020 a été décerné au Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, ce vendredi 9 octobre. Du Yémen à la Corée du Nord, ce programme nourrit des dizaines de millions de bouches dans un monde où la faim est une redoutable “arme de guerre”.
Le PAM est ainsi récompensé pour “ses efforts de lutte contre la faim, pour sa contribution à l’amélioration des conditions de paix dans les zones touchées par les conflits et pour avoir joué un rôle moteur dans les efforts visant à empêcher l’utilisation de la faim comme arme de guerre”, a déclaré la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen.
Car si les guerres entraînent les famines, la faim aussi entraîne les guerres, martèle le PAM. Une corrélation reconnue dans une résolution historique, votée par l’ONU en 2018.
Les gens privés de nourriture “vulnérables” face aux terroristes
Dans un entretien accordé au Monde paru en mai de cette année-là, David Beasley, directeur du Programme alimentaire mondial (PAM), évoquait l’utilisation de la faim comme une arme de guerre. Notamment par les groupes terroristes dans les régions touchées par la famine, comme le Sahel.
“Ces groupes terroristes ont une approche stratégique de cette région. Ils utilisent la faim comme outil de recrutement, particulièrement dans les zones de conflit et celles touchées par les changements climatiques, et dans les pays pauvres. Leur rêve est de déclencher encore davantage de vagues de migration vers l’Europe afin de les infiltrer”, expliquait-il.
Selon David Beasley, “les gens privés de nourriture sont vulnérables. À chaque fois que la faim augmente de 1%, les migrations augmentent de 2%”. Or, “quand on assure une meilleure sécurité alimentaire, le recrutement par les extrémistes diminue et les migrations aussi”, assure-t-il.
La faim facteur de déstabilisation
Comme pour illustrer l’adage “ventre affamé n’a point d’oreilles”, l’insécurité alimentaire, en plus de fragiliser les populations, est également un facteur de déstabilisation plus globale. Ceci même si elle n’est jamais l’unique facteur déclencheur d’un conflit, comme le relevait la FAO (l’organisation de l’ONU pour la nourriture et l’agriculture) dans un rapport en 2016. L’année 2008 a été par exemple marquée par une généralisation de crises dénommées ”émeutes de la faim” en Afrique, à Haïti, en Asie (Indonésie, Philippines, etc.), et en Amérique latine (Pérou, Bolivie, Argentine…). Des pays où les inégalités et l’exclusion de l’accès aux produits alimentaires se sont aggravées pour les populations pauvres, selon le Cairn.
En effet, selon le rapport de la FAO, les menaces à la sécurité alimentaire (y compris les hausses soudaines des prix des denrées alimentaires) et la dépossession des biens (des terres comme du bétail), associées à d’autres formes de grief et de mécontentement, participent au lien de causalité entre insécurité alimentaire et conflits.
Dans ce même rapport de 2016, la FAO annonçait que 40 % des pays en postconflit qui font face à une importante insécurité alimentaire sont susceptibles d’être en proie à de nouveaux conflits au cours de la prochaine décennie.
L’organisation établissait également un lien entre la récurrence des conflits en Afrique et l’accès à l’agriculture pour se nourrir. Ainsi, entre 2000 et 2016, 48% des guerres civiles ont eu lieu en Afrique, “où l’accès aux terres rurales est indispensable à la subsistance d’un grand nombre de personnes, et dans 27 des 30 conflits inter-États en Afrique, la distribution des terres a joué un rôle important”.
Selon le Programme alimentaire mondial, la solution ne peut donc pas être de ne donner que de la nourriture aux populations en détresse. “Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours”, disait Lao-Tseu. Dans cet esprit, la solution réside surtout dans le fait de donner aux populations vulnérables les moyens de produire eux-mêmes leur approvisionnement alimentaire.
“On ne peut pas se contenter d’apporter de la nourriture. Quand on le peut, au lieu d’en distribuer, on arrive avec de l’argent et on tente de relancer la production de vivres. On rencontre les meuniers, puis les paysans, qui embauchent des travailleurs, et ainsi de suite. Puis c’est cette nourriture que l’on donne aux plus pauvres, à ceux qui ont faim. La fierté et l’espoir reviennent quand les gens racontent, avec le sourire, que leurs enfants n’ont plus besoin de migrer”, expliquait le directeur du PAM au Monde.
Une conviction que le PAM a de nouveau réaffirmé à l’annonce de sa consécration. “L’une des beautés des activités du PAM est que non seulement nous fournissons de la nourriture pour aujourd’hui et demain, mais nous donnons aussi aux gens les connaissances nécessaires et des moyens pour subvenir à leurs besoins dans les jours qui suivent”, a déclaré aux médias un porte-parole de l’agence onusienne, Tomson Phiri.
“La question de la malnutrition aiguë sévère n’est pas seulement une question de manque de nourriture”, explique ce vendredi le porte-parole du PAM, en citant le Soudan du Sud, la Syrie, le Yémen et l’Afghanistan. Car “dans les pays en conflit, (…) vous avez aussi besoin de paix, de stabilité. Tout le reste devient moins intimidant quand vous avez la paix”.