Leçons tirées de la Covid-19 : le rôle de l’infrastructure passive. ( Abdou Khadre Lo)

La dépendance croissante à l’égard de la connectivité mobile

Alors que les sociétés du monde entier sont aux prises à l’impact de la Covid-19, le besoin de connectivité mobile est plus grand que jamais. Cela est particulièrement vrai dans les pays en développement qui dépendent fortement des réseaux mobiles en raison de la disponibilité limitée du haut débit fixe. Selon l’Union internationale des télécommunications (UIT), seulement 0,4 % des personnes ont accès au haut débit fixe (ADSL + Fibre) en Afrique subsaharienne. D’après l’ARTP, en décembre 2020, 1,06% de la population sénégalaise avait accès au haut débit fixe. Sachant qu’une ligne fixe haut débit (le Wifi à la maison) peut être partagé par plusieurs personnes.

Avec de plus en plus de personnes qui travaillent à distance, reçoivent de l’éducation et des soins de santé en ligne, s’adonnent à des loisirs virtuels et des activités sociales, la demande de connectivité mobile a grimpé en flèche tant pour les utilisateurs individuels que pour les professionnels.
Par exemple, Safaricom du Kenya a connu une augmentation de 70% de l’utilisation des données pendant le confinement et le sud-africain MTN a signalé une augmentation de 30% de la demande.

Alors que la connectivité mobile est souvent pensée du point de vue des opérateurs de réseaux mobiles (MNOs) et de leurs consommateurs, l’infrastructure physique qui permet une telle connectivité est un élément essentiel de la chaîne d’approvisionnement des communications. Cette infrastructure, également connue sous le nom d’«infrastructure passive», est détenue et entretenue par des sociétés spécialisées dans les tours (les TowerCos) qui louent de l’espace sur leurs tours à plusieurs opérateurs de téléphonie (MNOs), qui y placent leur propre équipement réseau pour fournir leurs services aux consommateurs et aux entreprises.
Ce modèle d’utilisation partagée réduit les coûts globaux d’investissement et d’exploitation des opérateurs, leur permettant ainsi d’offrir un déploiement réseau plus rapide dans un plus grand nombre d’endroits, d’améliorer la couverture, de réduire les prix à la consommation et d’améliorer la qualité du service.

Malgré leur importance, le rôle joué par les TowerCos est souvent négligé dans les politiques. Ce qui entraîne des obstacles réglementaires qui entravent le déploiement de l’infrastructure et la connectivité. Pour atténuer l’impact continu de la pandémie de la Covid-19 et répondre à la demande croissante de connectivité, les réponses politiques doivent reconnaître la centralité de l’infrastructure passive dans l’écosystème des télécommunications. En adaptant leurs cadres réglementaires pour tenir compte de la contribution des tours, les gouvernements favoriseront efficacement la croissance économique et le développement en Afrique, notant qu’une augmentation de 10 % de la pénétration de l’Internet mobile augmente le PIB du continent de 2,5 %, contre 2% à l’échelle mondiale.

Access Partnership a récemment examiné les réponses réglementaires relatives à l’industrie des tours mises en œuvre durant la pandémie. Nos recherches nous permettent de souligner son importance pour le développement et le maintien de la connectivité mobile. La recherche identifie en outre les leçons importantes et qui sont particulièrement pertinentes pour les gouvernements et les organismes de réglementation dans la façon dont ils continuent à gérer la crise actuelle, ainsi que la façon dont ils planifient pour les futures.

L’une des principales leçons apprises est que les gouvernements doivent mettre en place des mesures spécifiques pour encourager le partage de l’infrastructure et soutenir les infrastructures de télécommunications passives essentielles. Il s’agit notamment (i) de classer les réseaux de télécommunications comme une infrastructure essentielle et de leur accorder les protections requises; ii) faciliter la libre circulation du personnel chargé de maintenir la résilience et la maintenance du réseau; iii) encourager l’adoption de technologies numériques entre les entités gouvernementales afin de faciliter tous les processus administratifs.

En outre, les mécanismes de financement, en particulier les Fonds pour le service universel, devraient pouvoir être utilisés pour financer la connectivité supplémentaire que les nouveaux modèles de travail et de socialisation nous ont imposé au cours de l’année écoulée. En outre, en créant un guichet unique pour toutes les autorisations et un point focal dédié aux autorités réglementaires, les gouvernements peuvent faire beaucoup pour faciliter le déploiement des infrastructures.

Malgré les avantages généralisés que ces mesures pourraient apporter à l’expansion de la connectivité dans le contexte de la pandémie et des défis qu’elles présentent, les premières réponses politiques à la pandémie n’ont pas réussi à les inclure. Au lieu de cela, les réponses politiques tendaient à tenir compte du secteur des télécommunications en se concentrant sur les consommateurs et les fournisseurs de services de détail. À cet égard, ils n’ont généralement pas reconnu le rôle unique et vital de l’infrastructure passive et les approches réglementaires spécifiques nécessaires pour la protéger et la soutenir.

Perspectives d’avenir : la jeunesse africaine pour la croissance

Les tours fournissent les bases de la connectivité mobile. La mise en œuvre d’un cadre stratégique qui explique leur rôle et leur importance est donc essentielle pour améliorer le déploiement du réseau et établir les bases de la transformation numérique. Les avantages économiques et sociaux de l’élargissement de l’accès à Internet et de la croissance de l’économie numérique sont considérables. Dans leur rapport ‘e-Conomy Africa 2020’, Google et la SFI constatent que l’augmentation de la pénétration d’Internet à 75% a le potentiel de créer 44 millions de nouveaux emplois. Cela est particulièrement pertinent compte tenu de la domination de la jeunesse africaine, McKinsey prédit que la population des jeunes africains créera 5,6 trillions de dollars en opportunités d’affaires d’ici 2025.

Malgré son rôle essentiel dans la chaîne d’approvisionnement en connectivité, l’infrastructure passive est souvent omise des réponses politiques et réglementaires, comme lors de la covid-19. En adoptant des mesures visant à faciliter le travail essentiel des TowerCos et à accélérer le déploiement des infrastructures, les gouvernements peuvent directement accroître la valeur économique du continent qui pourrait être sur la bonne voie pour ajouter 180 milliards de dollars (5.2%) à son PIB d’ici 2025 grâce à une connectivité numérique accrue. Le Sénégal et les pays de la sous-région gagneraient beaucoup – techniquement et économiquement – à appuyer l’infrastructure passive dans les stratégies de développement numérique (et globales).

Abdou Khadre Lo
Directeur Afrique du cabinet Access Partnership
Membre de l’Union africaine des télécommunications (UAT) et de l’UIT.