États-Unis : 19 ans après, Joe Biden va-t-il réussir à fermer Guantanamo ?

La libération cette semaine de trois prisonniers arrêtés entre 2001 et 2003 relance la question de la fermeture de la prison de Guantanamo où 40 personnes sont encore détenues. La Maison Blanche y est favorable mais les obstacles demeurent pour en finir avec ce symbole des dérives de la lutte contre le terrorisme.

 

Il est le doyen des prisonniers de Guantanamo. Une commission de la Maison Blanche, a approuvé lundi 17 mai, la libération de Saifulllah Paracha, 73 ans, souffrant de graves problèmes cardiaques, ainsi que celle de deux autres détenus.

Soupçonné par les autorités américaines d’avoir participé au financement d’Al-Qaïda et d’avoir soutenu deux membres de l’organisation d’Oussama Ben Laden, ce businessman pakistanais a toujours affirmé qu’il ignorait avoir affaire à des terroristes.

Piégé par le FBI lors d’un voyage à Bangkok en 2003, il est arrêté puis torturé dans une prison secrète. Transféré à Guantanamo, il n’a jamais été inculpé, comme la plupart de ses co-détenus.

Alors que les États-Unis préparent leur retrait d’Afghanistan pour le 20e anniversaire des attentats du 11-Septembre, Guantanamo, n’abrite aujourd’hui plus que 40 prisonniers.

Sur ce total, 9 attendent désormais d’être transférés, 12 sont poursuivis pour crimes de guerre dont Khalid Sheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats du 11-Septembre. Par ailleurs, 19 sont considérés comme trop dangereux pour être incarcérés dans un autre pays comme le rappelle Carol Rosenberg, grande spécialiste du dossier pour le New York Times.

La promesse d’Obama

Au point mort sous le mandat de Donald Trump, le débat autour de la fermeture de Guantanamo semble relancé aux États-Unis depuis l’élection de Joe Biden.

En avril, 24 sénateurs, essentiellement démocrates, ont adressé une lettre au présidentdans laquelle ils décrivent Guantanamo comme “un symbole d’injustice et de violations des droits de l’homme” et appellent à sa fermeture le plus rapidement possible.

L’argument est aussi financier. L’entretien du camp de Guantanamo, situé dans le sud-est de Cuba, coûte 445 millions de dollars par an, beaucoup plus qu’une prison de haute sécurité aux États-Unis, affirme l’ACLU, la grande association de défense des droits civiques. Selon une enquête de la radio publique américaine, NPR, le centre de détention militaire aurait coûté plus de 6 milliards de dollars aux contribuables américains.

La Maison Blanche a indiqué à plusieurs reprises être favorable à cette fermeture. Mais pour le moment, le nouveau président des États-Unis n’a pas fourni de détails pour réussir là où Barack Obama a échoué.

Joe Biden était vice-président quand Obama a ordonné la fermeture de Guantanamo, en janvier 2009. L’ancien locataire de la Maison Blanche voulait alors faire juger les prisonniers par des tribunaux civils. Mais la décision, très impopulaire, a été bloquée au Congrès par les Républicains.

Si Barack Obama n’est pas parvenu à faire fermer Guantanamo, il a considérablement réduit le nombre de personnes incarcérées puisqu’au moment de sa prise de fonction, 242 personnes y étaient emprisonnées. Pendant ses deux mandats, des dizaines de détenus ont ainsi été transférés vers des pays tiers après validation de la Commission de révision (PRB) de la présidence.

Ces libérations ont été interrompues sous la présidence de Donald Trump au cours de laquelle un seul prisonnier saoudien a été transféré vers son pays d’origine, en mai 2018.

Pour en finir avec Guantanamo

Selon l’avocat Shayana Kadidal, du Center for Constitutional Rights qui défend plusieurs détenus, Joe Biden pourrait laisser faire la PRB pour vider Guantanamo. Interrogé par l’AFP, le juriste salue un « changement d’attitude » de la commission qui serait plus à l’écoute des cas les plus difficiles comme ces détenus souffrant de problèmes physiques, psychiatriques et ayant été torturé par la CIA.

« Je pense que l’on peut s’attendre à des décisions sérieuses de la part de l’administration Biden », analyse le journaliste d’investigation britannique et spécialiste de Guantanamo, Andy Worthington, joint par France 24. « Les autorités américaines reconnaissent aujourd’hui que cette prison ne sert plus à rien et qu’il n’est plus possible de retenir éternellement des gens sans charge ni procès. »

Encore faut-il trouver des pays pour accueillir les prisonniers libérés. Pour cela, Barack Obama avait créé un poste d’émissaire pour négocier ces rapatriements, mais il a été supprimé par Donald Trump.

Aujourd’hui, les associations de défense des droits de l’Homme et une partie de la classe politique américaine pressent Joe Biden de redonner vie à ce poste clé.

Autre difficulté, depuis 2010, les États-Unis ont arrêté de renvoyer des prisonniers vers le Yémenalors qu’une grande partie des prisonniers de Guantanamo en sont originaires. Les autorités américaines craignent que le gouvernement ne soit incapable de surveiller ces hommes et de les empêcher de rejoindre les rangs de la branche locale d’Al-Qaïda.

Enfin, reste à régler le sort des 12 prisonniers encore dans le système judiciaire militaire. Six d’entre eux, dont Khalid Sheikh Mohammed, encourent la peine de mort. Mais leurs dossiers complexes avancent très lentement. Ils attendent toujours d’être jugés par une commission militaire, qui n’a émis que deux condamnations en deux décennies.

Selon Andy Worthington, la perspective de les voir jugés par des tribunaux civils est peu vraisemblable car les autorités craignent des révélations sur les tortures subies par les prisonniers.

“Pourtant, je pense que ces détenus, s’ils étaient jugés par une cour fédérale, seraient condamnés. Ce ne serait pas un jour glorieux pour la justice américaine mais ce serait peut-être la seule solution pour sortir de cette situation”, explique-t-il. « D’un autre côté, je sais que cela ne dérangerait pas la CIA s’il n’y avait jamais de procès et que ces hommes restaient à Guantanamo pour le restant de leurs jours. »

Au total, 779 hommes sont passés par Guantanamo depuis 2002, originaires de 19 pays, dont plus de la moitié du Yémen, mais aussi d’Afghanistan, d’Arabie saoudite, d’Égypte, du Pakistan, de Chine et de Russie.