Comme chef d’Etat, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût chef et qu’il y eût un Etat.» Ainsi parlait de Gaulle de Albert Brun, président de la République française de 1932 à 1940. On est tenté de dire la même chose du colonel Assimi Goïta, le nouveau Président de la transition au Mali. Peut-être qu’il sera chef ? Nous le saurons bientôt, mais est-ce qu’il aura un Etat ? La réponse est «Non». Le «coup d’Etat dans le coup d’Etat» parachève le long processus de l’effondrement de l’Etat au Mali. En s’enfermant dans une «transitologie» permanente, le Mali ne fait que décaler l’essentiel : reconstruire un Etat, reconstruire une Armée pour défendre son territoire. Le parapluie dont le pays bénéficie depuis presque dix ans aurait dû servir à mobiliser la Nation autour de cet objectif, dont dépend la survie du pays, mais malheureusement l’Armée malienne semble être au même niveau qu’en 2012, quand la France arrêtait les hordes jihadistes dans leur descente vers Bamako.
Le Président Ibrahim Boubacar Keïta, par inconscience politique et historique, a fait perdre au Mali les 7 années les plus importantes de son histoire. Et comme je le dis souvent ici : le temps est le meilleur allié des jihadistes. Le Mali va très mal parce qu’il est autant évident que les Français partiront, que les Russes ne viendront pas. Le fait aujourd’hui que tout l’espoir du Mali se fonde non pas sur ses Armées, mais sur une hypothétique intervention des Russes, après celle des Français, montre le degré de désespoir dans ce pays, mais aussi et surtout que plus personne ne compte sur l’Armée du Mali.
Quand je discute avec des amis maliens, ils donnent l’exemple de la Syrie où le régime Assad a été sauvé par les Russes. En Syrie, l’intervention russe était principalement aérienne, pour appuyer l’Armée de Assad qui combattait au sol. En Syrie, l’Armée de Assad, composée presque exclusivement des Alaouites (le clan minoritaire au pouvoir), se battait pour la survie non seulement du régime, mais surtout de la minorité alaouite. En Syrie, Bachar et son Armée ont très tôt appréhendé les conséquences désastreuses d’une chute du régime ; d’où cette énergie du désespoir qui a été à l’origine de la survie.
Au Mali, c’est presque le contraire, avec le grand écart qu’il y a entre la gravité de la menace sur la survie du pays et l’insouciance qu’il y a à Bamako, où le retour du vieux routier politicien Choguel Maïga marque aussi le retour de la politique politicienne. Autant le premier coup d’Etat pouvait être considéré comme un sursaut face au naufrage du Mali, autant le coup d’Etat dans le coup d’Etat ferme la parenthèse de ce qui devait être le dernier sursaut et le retour de la politique politicienne. L’urgence nationale pour le Mali, ce ne sont pas les combines politico-militaires et les révolutions de Palais ou de camp militaire, mais c’est de préparer son Armée face aux jihadistes qui vont reprendre leur marche vers Bamako dès que la parenthèse de la force expéditionnaire sera fermée, à moins que psychologiquement on ait déjà accepté la défaite et le règne des islamistes de Kayes à Kidal, car il est sûr que ces derniers, qui ont pris un ascendant sur l’Armée malienne, ne vont plus se contenter de la partition, mais voudront prendre tout le pays. Et n’eut été le coup d’arrêt de l’opération Serval, ils l’auraient déjà fait.
Le Mali, qui a déjà commis une erreur en sous-traitant durablement sa sécurité, est en train d’en commettre une autre de plus en attendant les Russes qui seront comme le fameux «En attendant Godot» de Samuel Beckett, car les russes ne viendront pas. Ceux qui misent sur cette naïveté stratégique le paieront cash politiquement.
Yoro DIA