Auteur de 145 attaques officiellement revendiquées depuis 2015 par l’État Islamique dans le Liptako-Gourma : l’ex-EIGS est-il en perte de vitesse ?

La région des trois frontières où se rencontrent trois pays du Sahel, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, a occupé le devant de l’actualité ces dernières années en raison de l’insécurité qui y a pris ses aises. Un groupe jihadiste né des entrailles d’Al Mourabitoune s’est particulièrement illustré dans cette zone au point d’être catégorisé ennemi numéro un des pays du G5 Sahel et de la France au sortir du sommet de Pau de janvier 2020.

Un titre qui va à l’ex-EIGS (rattaché à la province de l’État Islamique en Afrique occidentale) qui, si on se réfère à un monitoring tenu par un analyste qui se fait appeler Mr. Q. sur Twitter a commis au moins 145 attaques d’envergure dans cette région communément appelée Liptako-Gourma.

« D’après mon travail sur l’ensemble des revendications de l’État Islamique dans le monde, à travers son magazine hebdomadaire al-Naba’, le groupe a revendiqué à ce jour 145 attaques dans la zone du Liptako Gourma…) », confie à Dakaractu l’auteur de cette étude.

Il est essentiel de noter que ces actions sont significatives car officiellement revendiquées par l’État Islamique via son hebdomadaire Al Naba au nom de sa province en Afrique Occidentale. Selon les données qui ont fait l’objet d’un « Thread » sur Twitter de la part de son rassembleur, parmi les 145 attaques, 62 auraient été menées au Burkina Faso, 59 au Mali et 24 au Niger.
Ce travail méticuleux intègre les données du 1er juin 2017 au 15 avril 2021.

La série macabre en 2019

En mai 2019, des soldats nigériens sont tués dans une embuscade à Tongo-Tongo, (région de Tillaberi, nord-ouest du Niger) où deux ans plus tôt, des bérets verts américains sont morts presque dans les mêmes circonstances et par le fait du même groupe.

Deux mois plus tôt, des militaires de l’armée française ont été ciblés par les djihadistes à Akabar, dans le sud de Ménaka. Deux d’entre eux sont blessés par le soufflement d’un véhicule kamikaze contre lequel ils ont ouvert le feu. Dans son numéro 175 paru le 28 mars 2019, la revue al Naba évoque pour la première fois ces évènements auxquels il a greffé l’assassinat d’un géologue canadien au Burkina Faso et l’attaque d’Abala qui a occasionné la mort de six soldats nigériens.

Au mois de juillet 2019, le camp de l’armée nigérienne d’Inates est pris d’assaut par les djihadistes de l’EIGS. Ils utiliseront un véhicule piégé pour ouvrir la voie aux fantassins qui auront raison de 18 soldats nigériens. Le 1er novembre 2019, c’est au tour de quelque 80 militaires maliens positionnés à Indélimane de recevoir ces visiteurs. Le même mode opératoire est reconduit. L’armée malienne reconnaît la mort de 49 des siens et des portés disparus. L’attaque est revendiquée le 2 novembre par l’État Islamique au nom de sa province en Afrique occidentale.

Le 10 décembre, retour au Niger où le camp avancé d’Inates (région de Tillabéri) est pilonné au mortier par les djihadistes qui vont cette fois commettre un vrai massacre en tuant 71 soldats.

Dans sa revendication, l’EI grossit les chiffres et parle de 100 vies de soldats emportées par cette opération qui ne sera malheureusement pas la dernière dans cette région. Elle sera assez violente pour appeler des décisions de la part des pays du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Burkina Faso, Niger et Tchad) et de leurs partenaires internationaux. C’est dans cette période que le Sommet de Pau s’est tenu à l’initiative de la France. L’ex État Islamique dans le Grand Sahara s’est vu affubler « priorité » de la lutte contre le terrorisme dans cette partie du Sahel. Ce qui n’empêche pas le groupe jihadiste de poursuivre ses actions même si c’est à un rythme moins soutenu qu’à la fin de l’année 2019.

Plus d’attaques que de revendications

En 2020, la branche sahélienne de l’EI a surtout été éprouvée par la guerre ouvertement déclarée au Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM). Des combats opposent les deux anciens alliés et font beaucoup de victimes des deux côtés. Dans sa revue hebdomadaire « Al Naba », l’État Islamique n’hésite pas à consacrer des lignes à cette guerre fratricide. La même année, le département d’État américain met à prix la tête d’Adnan Abou Walid as Sahraoui pour sa responsabilité dans la mort des 4 soldats américains au Niger en 2017.
Entre deux feux, l’Eigs tue 33 soldats maliens le 15 mars dernier à Tessit, dans le sud-ouest d’Ansongo.

Selon Mr. Q., depuis le début de l’année, l’État Islamique n’a revendiqué que neuf attaques entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cependant, force est de reconnaître que ces données sont très en deçà des actions commises par les hommes d’Adnan Abou Walid as-Sahraoui tel que l’illustre un tweet de Héni Nsaibia, consultant et spécialiste des conflits au Sahel et en Afrique du nord.
Connu sur Twitter sous le pseudonyme de Menastream, il estime à 107 les attaques imputables à l’ex-Eigs depuis le début de l’année, avec 507 morts dont des membres de l’organisation. Pour la période étudiée, la propagande de l’organisation État Islamique rapporte 1.359 blessés et tués.
Si les actions de l’EIGS sont « minorées » ainsi par la maison mère, qu’est ce qui peut l’expliquer ? Contacté par Dakaractu, Matteo Puxton est d’avis que l’EI fait de l’EI et ne prend pour sa propagande que ce qui l’intéresse. Le spécialiste de la stratégie militaire de l’organisation terroriste cite l’exemple de l’édition de la semaine dernière du Naba dans laquelle l’Ei a mis en exergue les combats contre le GSIM et la fausse mort d’un soldat français mais également des opérations au Burkina Faso.
La communication étant partie intégrante de la guerre, l’organisation qui en est consciente s’est empressée à revendiquer « assez vite » l’attentat de Tessit qui a fait 33 morts dans les rangs de l’armée malienne. Mais, les images de cette attaque ont été diffusées ce mardi 27 avril, soit un mois après la commission des faits.
Le Retour
L’analyste à l’origine de l’étude ici « étudiée » impute cette timidité de la communication de l’EI Central sur les actions de sa filiale sahélienne par une mauvaise communication entre les deux. « À titre d’exemple, à l’été dernier et en janvier, l’hebdo de l’EI Al Naba a publié des doublons de revendications d’attaques à deux reprises. Chose qui n’est jamais arrivée pour les autres provinces officielles du groupe», relève-t-il.
Cette communication calibrée rend-elle l’évaluation de capacité de nuisance du groupe ? Matteo Puxton constate que l’ex Eigs est sous pression entre janvier 2020 et l’automne 2020 du fait de Barkhane et des combats avec le GSIM. En revanche, le spécialiste constate un retour inquiétant du groupe depuis quelques mois avec des actions d’envergure comme celle de Tessit, les massacres de populations civiles au Niger. « J’ai l’impression qu’ils se sont réorganisés », pressent-il.
Relégué au second plan sur l’échelle des priorités au profit du GSIM qui est redevenu la nouvelle priorité de la France et des pays du G5 Sahel, l’ex EIGS semble avoir plus de marge de manœuvre pour mener progressivement des opérations à sa guise. « J’imagine qu’ils vont poursuivre leurs actions dans une zone où ils ne sont à ma connaissance pas aussi actifs que leurs rivaux d’Al Qaida », prédit Mr Q…